
L’enthousiasme suscité par les outils d’intelligence artificielle générative masque une réalité juridique en pleine recomposition. Alors que MidJourney, Nano Banana, DALL-E ou Adobe Firefly permettent de produire en quelques secondes des visuels d’une sophistication inédite, le projet de protection droit d’auteur et image IA peine à suivre le rythme. Pour les professionnels de l’image, photographes, directeurs artistiques, éditeurs, cette discordance entre technique et droit s’apparente à un véritable champ de mines.
Nous naviguons actuellement dans un « no man’s land ». Un simple clic génère une image, certes. Mais ce clic vous en donne-t-il la paternité ? Rien n’est moins sûr. Ce paradoxe est aujourd’hui le risque industriel majeur pour tout Directeur Artistique ou photographe intégrant l’IA dans son flux de travail.
Cet article a pour ambition de clarifier le paysage juridique complexe du droit d’auteur image IA, un domaine encore en pleine construction. Il s’attache à explorer la question essentielle que tout utilisateur d’IA générative devrait se poser : « À qui appartient l’image générée par l’IA ? ».
🛡️ Garde-fou légal : Cet article présente une analyse experte et ne saurait constituer un conseil juridique personnalisé. Le droit de l’IA étant en mutation constante, seule la consultation d’un avocat spécialisé peut garantir la sécurité et la validité de l’application de ces principes à vos projets spécifiques et vos contrats de cession.
L'illusion du prompt, pourquoi l'IA ne crée pas juridiquement

Le réveil est souvent brutal pour les créateurs persuadés que leur prompt vaut titre de propriété. Le principe fondamental du droit d’auteur (France, UE, USA) reste immuable et profondément humaniste : pas d’auteur humain, pas de protection.
La loi exige que l’œuvre porte « l’empreinte de la personnalité » de son auteur ou résulte d’une « contribution humaine substantielle« . Concrètement ? Des choix libres, créatifs, une subjectivité incarnée. Une IA, aussi puissante soit-elle, n’est qu’un outil probabiliste dépourvu d’âme. Elle ne « crée » pas au sens juridique, elle exécute des statistiques.
La jurisprudence américaine a gravé ce principe dans le marbre avec l’affaire Thaler v. Perlmutter. Les tribunaux ont confirmé qu’une œuvre créée de manière autonome par une IA (la « Creativity Machine ») ne pouvait être protégée, réaffirmant que seul un être humain peut se voir reconnaître la qualité d’auteur.
La conclusion est sans appel, si vous utilisez l’IA comme un générateur automatique de stock, vous ne possédez rien. Votre image est, par défaut, dans le domaine public dès sa naissance.
La nuance vitale de l'apport substantiel

Tout n’est pas perdu. Si l’IA cesse d’être le créateur autonome pour redevenir un « outil » au service d’une vision humaine, la donne change. On parle alors d’œuvre assistée par IA. La protection devient possible, mais à une condition stricte : l’intervention humaine doit être substantielle.
Le cas de la bande dessinée Zarya of the Dawn illustre parfaitement cette ligne de crête. L’US Copyright Office a accepté de protéger le texte et la mise en page (fruit de la sélection et de l’arrangement par l’autrice Kris Kashtanova) mais a explicitement refusé le droit d’auteur sur les images brutes générées par Midjourney.
L’enseignement est limpide, la structure est à vous, les briques visuelles générées par l’IA ne le sont pas.
Case Study : Le coût réel d'une négligence, ou pourquoi ça peut coûte cher

Vous pensez que c’est théorique ? Lisez bien ceci.
Un article récent publié par Medium relate la mésaventure d’un illustrateur et de son client, une petite maison d’édition.
L’illustrateur a conçu une couverture de livre via Midjourney. Il pensait avoir tout fait « comme il faut ». Pourtant, l’éditeur a reçu une mise en demeure d’un photographe affirmant que l’image IA reproduisait « substantiellement » une de ses œuvres protégées ayant servi à l’entraînement de l’IA.
L’addition ? L’avocat réclamait le retrait du livre des librairies, des excuses et 75 000 $ de dommages et intérêts. Après négociation, l’affaire s’est soldée par un chèque de 12 500 $, le retrait du livre et la création d’une nouvelle couverture (sans IA).
Le bilan : Le photographe a été payé. L’éditeur a perdu de l’argent. L’illustrateur a perdu son client et sa réputation.
Ce cas démontre que le risque de contrefaçon, même involontaire, existe et qu’il peut-être financier et immédiat.
Dispositif de protection en 7 étapes pour protéger vos droits

Pour les professionnels, adopter une stratégie du « wait and see » serait tout simplement une erreur fatale. Il devient urgent de mettre en place dès aujourd’hui des méthodes rigoureuses pour transformer une génération brute en véritable œuvre protégeable. Voici une checklist de survie pour sécuriser votre droit d’auteur image IA et renforcer vos droits de titularité :
1. Soyez l’auteur, pas l’opérateur : L’œuvre finale doit refléter VOS choix créatifs (cadrage, narration, intention, …), pas ceux de l’algorithme.
2. Intervenez massivement (Post-Prod) : C’est la clé. Retouches substantielles, collage, inpainting manuel, intégration dans un design global. C’est cette intervention qui élève l’image au rang d’œuvre protégée.
3. Documentez chaque étape du processus créatif (Traçabilité) : Archivez tout. Prompts, seeds, versions successives, fichiers natifs intermédiaires (PSD avec calques). C’est votre seule preuve matérielle en cas de litige.
4. Vérifiez l’originalité (Reverse Search) : l’IA peut recréer des éléments reconnaissables d’artistes ou de marques, toujours vérifier l’originalité du résultat avant exploitation. Faites une recherche d’image inversée avant toute exploitation commerciale.
5. Vérifiez les outils IA que vous allez utiliser et lisez attentivement les conditions d’utilisation pour comprendre les garanties (ou leur absence).
6. Formalisez les droits par écrit : dans un cadre professionnel ou commercial, inclure dans les devis ou contrats une clause claire sur la part de création humaine, l’usage de l’IA et la titularité des droits.
7. Ne jamais compter sur le prompt seul : un prompt, aussi sophistiqué soit-il, est une idée, juridiquement non protégée, sauf cas très exceptionnels (œuvre littéraire, secret d’affaires, base de données).
Géopolitique du pixel, le grand écart mondial

Attention si vous travaillez à l’international la vision occidentale, centrée sur l’auteur humain, n’est pas universelle.
Chine : La Beijing Internet Court (Affaire Li v. Liu), à rebours de la logique occidentale, a accordé un droit d’auteur sur une image générée par Stable Diffusion. Le juge a estimé que la précision des prompts et les ajustements successifs de l’utilisateur constituaient un « investissement intellectuel » suffisant pour caractériser une expression personnelle.
Japon : Ce pays a ouvert les vannes pour favoriser l’innovation, autorisant largement l’entraînement des IA sur des œuvres protégées, tant que l’usage final n’est pas directement concurrentiel. Cette fracture juridique mondiale signifie qu’une même image peut être considérée comme une œuvre protégée à Tokyo et comme un bien commun libre de droits à Paris ou New York. Pour les marques globales, cette insécurité juridique impose une vigilance extrême dans la gestion des droits territoriaux.
Europe : L’AI Act arrive (2026). Il imposera la transparence sur les données d’entraînement, mais la propriété des sorties d’images IA restera soumise à l’exigence de l’apport humain.
Une même image peut donc être protégée à Pékin ou Tokyo et libre de droits à Paris ou New York. Vigilance absolue sur vos contrats de cession mondiaux.
Responsabilité, vous êtes seul face au risque

En cas de contrefaçon (même involontaire) générée par une IA, l’algorithme ne risque rien. Il n’a pas de personnalité juridique. C’est vous, l’utilisateur final, qui êtes en première ligne. Et ne comptez pas sur Midjourney ou Stable Diffusion pour vous couvrir.
Les plateformes se blindent via leurs Terms of Service (ToS), elles déclinent toute responsabilité et place l’entière charge de la vérification sur vos épaules. Si votre visuel ressemble trop à une œuvre existante, à un personnage célèbre ou à une marque déposée, c’est vous qui serez poursuivi pour contrefaçon.
Si certains acteurs comme Adobe Firefly tentent de rassurer avec des garanties commerciales car entraînés sur Adobe Stock, pour la majorité des outils open-source, vous opérez sans filet. L’excuse « c’est l’IA qui l’a fait » ne tiendra pas une seconde au tribunal.
Naviguer en territoire connu

Nous sommes à l’aube d’une redéfinition de la création visuelle. Aujourd’hui, la clé pour valider un droit d’auteur image IA réside dans la substantialité et la traçabilité de votre apport humain. L’IA ne doit jamais être le seul auteur, mais l’extension d’une volonté créative documentée et maîtrisée. Dans ce paysage en mutation, cette rigueur n’est pas une option, c’est votre assurance-vie professionnelle.
🛡️ Garde-fou légal : Cet article présente une analyse experte et ne saurait constituer un conseil juridique personnalisé. Le droit de l’IA étant en mutation constante, seule la consultation d’un avocat spécialisé peut garantir la sécurité et la validité de l’application de ces principes à vos projets spécifiques et vos contrats de cession.
Sources en complément de l'article :
– Zarya of the Dawn – Wikipédia
– Zarya of the Dawn – La bande dessinée
– Thaler v. Perlmutter, No. 23-5233 – Jugement
– Propriété intellectuelle des prompts : qui détient les droits ? – Deshoulières Avocats
– Un prompt est-il protégeable ? –
Murielle Cahen Cabinet d’avocats Paris
– Des images générées via l’IA peuvent-elle être protégées par les droits d’auteur ? – Syndicat National des Scénographes d’équipement, de spectacle et d’exposition
– Les limites actuelles de la protection juridique des œuvres IA – ACBM Avocats
– Comprendre les images générées par l’IA : droits d’auteur
– L’intelligence artificielle peut-elle détenir des droits d’auteur ? – Dreyfus : Cabinet de Conseil en Propriété Industrielle
Consultez également notre article précédent : « L’IA créative appuie sur le turbo : Kling O1, Gen-4.5, Seedream 4.5 et la fin des peaux plastiques »
FAQ : Droit d'auteur et Images IA
Par défaut, elle n'appartient à personne. Selon le droit occidental (Europe, USA), une œuvre doit porter "l'empreinte de la personnalité" d'un auteur humain pour être protégée. Une image générée brut par un algorithme tombe donc généralement dans le domaine public.
Ce n'est pas conseillé. Même si vous avez un abonnement "Pro" qui vous accorde les droits commerciaux selon la plateforme, cela ne vous protège pas contre une action en contrefaçon si l'image ressemble à une œuvre protégée existante. De plus, si vous ne possédez pas le copyright exclusif, vos concurrents pourraient légalement utiliser la même image.
La protection n'est possible que si vous transformez la "génération brute" en "œuvre assistée". Par exemple une intervention humaine substantielle : retouches lourdes, composition complexe, peinture numérique (overpainting). C'est ce travail de post-production qui est protégé, pas la génération initiale.
Non, pas aujourd'hui mais le droit de l’IA est en mutation constante. Actuellement un prompt est considéré comme une idée ou une méthode, et le droit d'auteur ne protège pas les idées ("sujet de libre parcours"). Sauf cas exceptionnel d'un prompt extrêmement long et poétique qui serait reconnu comme une œuvre littéraire, il ne vous donne pas la propriété de l'image.
C'est vous, l'utilisateur final. Les conditions d'utilisation (ToS) des plateformes comme Midjourney déclinent toute responsabilité en cas de litige. L'IA n'ayant pas de personnalité juridique, c'est le diffuseur de l'image qui est poursuivi.
Adobe Firefly a été entraîné sur la banque d'images Adobe Stock dont ils possèdent les droits. Adobe offre donc une garantie d'indemnisation en cas de litige pour ses clients abonnés Creative Cloud Équipe ou Entreprise payant pour Firefly, ce que ne font pas les outils "open-source" ou Midjourney.
Cela va le devenir. Le futur "AI Act" européen imposera des règles de transparence. Pour l'instant, c'est une bonne pratique de "Direction Artistique" pour clarifier que votre apport réside dans la conception et la finition, et non dans l'exécution brute.
Parce que la technologie va plus vite que la loi. Les tribunaux jugent au cas par cas (comme l'affaire Thaler v. Perlmutter aux USA ou Li v. Liu en Chine ), créant une insécurité où les règles changent selon le territoire et le niveau d'intervention humaine.
Cela prouve l'antériorité (que vous aviez l'image à une date donnée), mais cela ne prouve pas la "paternité" au sens du droit d'auteur. Si l'image est jugée non-protégeable car créée par une machine, la preuve d'antériorité sera inutile. Seule la preuve du processus créatif humain (fichiers de travail) compte.
Ne gardez pas juste l'image finale. Archivez les "seeds", les prompts, et surtout les fichiers natifs (PSD) avec tous les calques de vos retouches. C'est cette "trace matérielle" de votre effort qui permettra le cas échéant de valider votre statut d’auteur.



